La Machine à explorer le temps

H. G. Wells

(Traducteur: Henry D. Davray)

Publication: 1895
Catégorie(s): Fiction, Science Fiction

Chapitre 1 INITIATION

L'EXPLORATEUR du Temps (car c'est ainsi que pour plus de commodité nous l'appellerons) nous exposait un mystérieux problème. Ses yeux gris et vifs étincelaient, et son visage, habituellement pâle, était rouge et animé. Dans la cheminée la flamme brûlait joyeusement et la lumière douce des lampes à incandescence, en forme de lis d'argent, se reflétait dans les bulles qui montaient brillantes dans nos verres. Nos fauteuils, dessinés d'après ses modèles, nous embrassaient et nous caressaient au lieu de se soumettre à regret à nos séants ; il régnait cette voluptueuse atmosphère d'après dîner où les pensées vagabondent gracieusement, libres des entraves de la précision. Et il nous expliqua la chose de cette façon – insistant sur certains points avec son index maigre – tandis que, renversés dans nos fauteuils, nous admirions son ardeur et son abondance d'idées pour soutenir ce que nous croyions alors un de ses nouveaux paradoxes.

« Suivez-moi bien. Il va me falloir discuter une ou deux idées qui sont universellement acceptées. Ainsi, par exemple, la géographie qu'on vous a enseignée dans vos classes est fondée sur un malentendu.

– Est-ce que ce n'est pas là entrer en matière avec une bien grosse question ? demanda Filby, raisonneur à la chevelure rousse.

– Je n'ai pas l'intention de vous demander d'accepter quoi que ce soit sans argument raisonnable. Vous admettrez bientôt tout ce que je veux de vous. Vous savez, n'est-ce pas, qu'une ligne mathématique, une ligne de dimension nulle, n'a pas d'existence réelle. On vous a enseigné cela ? De même pour un plan mathématique. Ces choses sont de simples abstractions.

– Parfait, dit le Psychologue.

– De même, un cube, n'ayant que longueur, largeur et épaisseur, peut-il avoir une existence réelle ?

– Ici, j'objecte, dit Filby ; certes, un corps solide existe. Toutes choses réelles…

– C'est ce que croient la plupart des gens. Mais attendez un peu. Est-ce qu'il peut exister un cube instantané ?

– Je n'y suis pas, dit Filby.

– Est-ce qu'un cube peut avoir une existence réelle sans durer pendant un espace de temps quelconque ? »

Filby devint pensif.

« Manifestement, continua l'Explorateur du Temps, tout corps réel doit s'étendre dans quatre directions. Il doit avoir Longueur, Largeur, Épaisseur, et… Durée. Mais par une infirmité naturelle de la chair, que je vous expliquerai dans un moment, nous inclinons à négliger ce fait. Il y a en réalité quatre dimensions, trois que nous appelons les trois plans de l'Espace, et une quatrième : le Temps. On tend cependant à établir une distinction factice entre les trois premières dimensions et la dernière, parce qu'il se trouve que nous ne prenons conscience de ce qui nous entoure que par intermittences, tandis que le temps s'écoule, du passé vers l'avenir, depuis le commencement jusqu'à la fin de votre vie.

– Ça, dit un très jeune homme qui faisait des efforts spasmodiques pour rallumer son cigare au-dessus de la lampe, ça… très clair… vraiment.

– Or, n'est-il pas remarquable que l'on néglige une telle vérité ? continua l'Explorateur du Temps avec un léger accès de bonne humeur. Voici ce que signifie réellement la Quatrième Dimension ; beaucoup de gens en parlent sans savoir ce qu'ils disent. Ce n'est qu'une autre manière d'envisager le Temps. Il n'y a aucune différence entre le Temps, Quatrième Dimension, et l'une quelconque des trois dimensions de l'Espace sinon que notre conscience se meut avec elle. Mais quelques imbéciles se sont trompés sur le sens de cette notion. Vous avez tous su ce qu'ils ont trouvé à dire à propos de cette Quatrième Dimension ?

– Non, pas moi, dit le Provincial.

– Simplement ceci : l'Espace, tel que nos mathématiciens l'entendent, est censé avoir trois dimensions, qu'on peut appeler Longueur, Largeur et Épaisseur, et il est toujours définissable par référence à trois plans, chacun à angles droits avec les autres. Mais quelques esprits philosophiques se sont demandé pourquoi exclusivement trois dimensions, pourquoi pas une quatrième direction à angles droits avec les trois autres ? et ils ont même essayé de construire une géométrie à quatre Dimensions. Le professeur Simon Newcomb exposait celle-ci il y a quatre ou cinq semaines à la Société Mathématique de New York. Vous savez comment sur une surface plane qui n'a que deux dimensions on peut représenter la figure d'un solide à trois dimensions. À partir de là ils soutiennent que, en partant d'images à trois dimensions, ils pourraient en représenter une à quatre s'il leur était possible d'en dominer la perspective. Vous comprenez ?

– Je pense que oui », murmura le Provincial, et fronçant les sourcils il se perdit dans des réflexions secrètes, ses lèvres s'agitant comme celles de quelqu'un qui répète des versets magiques.

« Oui, je crois que j'y suis, maintenant, dit-il au bout d'un moment, et sa figure s'éclaira un instant.

– Bien ! Je n'ai pas de raison de vous cacher que depuis un certain temps je me suis occupé de cette géométrie des Quatre Dimensions. J'ai obtenu quelques résultats curieux. Par exemple, voici une série de portraits de la même personne, à huit ans, à quinze ans, à dix-sept ans, un autre à vingt-trois ans, et ainsi de suite. Ils sont évidemment les sections, pour ainsi dire, les représentations sous trois dimensions d'un être à quatre dimensions qui est fixe et inaltérable.

« Les hommes de science, continua l'Explorateur du Temps après nous avoir laissé le loisir d'assimiler ses derniers mots, savent parfaitement que le Temps n'est qu'une sorte d'Espace. Voici un diagramme scientifique bien connu : cette ligne, que suit mon doigt, indique les mouvements du baromètre. Hier il est monté jusqu'ici, hier soir il est descendu jusque-là, puis ce matin il s'élève de nouveau et doucement il arrive jusqu'ici. À coup sûr, le mercure n'a tracé cette ligne dans aucune des dimensions de l'Espace généralement reconnues ; il est cependant certain que cette ligne a été tracée, et nous devons donc en conclure qu'elle fut tracée au long de la dimension du Temps.

– Mais, dit le Docteur en regardant fixement brûler la houille, si le Temps n'est réellement qu'une quatrième dimension de l'Espace, pourquoi l'a-t-on considéré et le considère-t-on encore comme différent ? Et pourquoi ne pouvons-nous pas nous mouvoir çà et là dans le Temps, comme nous nous mouvons çà et là dans les autres dimensions de l'Espace ? »

L'Explorateur du Temps sourit :

« Êtes-vous bien sûr que nous pouvons nous mouvoir librement dans l'Espace ? Nous pouvons aller à gauche et à droite, en avant et en arrière, assez librement, et on l'a toujours fait. J'admets que nous nous mouvons librement dans deux dimensions. Mais que direz-vous des mouvements de haut en bas et de bas en haut ? Il semble qu'alors la gravitation nous limite singulièrement.

– Pas précisément, dit le Docteur, il y a les ballons.

– Mais avant les ballons, et si l'on excepte les bonds spasmodiques et les inégalités de surface, l'homme est tout à fait incapable du mouvement vertical.

– Toutefois, il peut se mouvoir quelque peu de haut en bas et de bas en haut.

– Plus facilement, beaucoup plus facilement de haut en bas que de bas en haut.

– Et vous ne pouvez nullement vous mouvoir dans le Temps ; il vous est impossible de vous éloigner du moment présent.

– Mon cher ami, c'est là justement ce qui vous trompe. C'est là justement que le monde entier est dans l'erreur. Nous nous éloignons incessamment du moment présent. Nos existences mentales, qui sont immatérielles et n'ont pas de dimensions, se déroulent au long de la dimension du Temps avec une vélocité uniforme, du berceau jusqu'à la tombe, de la même façon que nous voyagerions vers le bas si nous commencions nos existences cinquante kilomètres au-dessus de la surface de la terre.

– Mais la grande difficulté est celle-ci, interrompit le Psychologue : vous pouvez aller, de-ci, de-là, dans toutes les directions de l'Espace, mais vous ne pouvez aller de-ci, de-là dans le Temps.

– C'est là justement le germe de ma grande découverte. Mais vous avez tort de dire que nous ne pouvons pas nous mouvoir dans tous les sens du Temps. Par exemple, si je me rappelle très vivement quelque incident, je retourne au moment où il s'est produit. Je suis distrait, j'ai l'esprit absent comme vous dites. Je fais un saut en arrière pendant un moment. Naturellement, nous n'avons pas la faculté de demeurer en arrière pour une longueur indéfinie de Temps, pas plus qu'un sauvage ou un animal ne peut se maintenir à deux mètres en l'air. Mais l'homme civilisé est à cet égard mieux pourvu que le sauvage. Il peut s'élever dans un ballon en dépit de la gravitation, et pourquoi ne pourrait-il espérer que finalement il lui sera permis d'arrêter ou d'accélérer son impulsion au long de la dimension du Temps, ou même de se retourner et de voyager dans l'autre sens ?

– Oh ! ça par exemple, commença Filby, c'est…

– Pourquoi pas ? demanda l'Explorateur du Temps.

– C'est contre la raison, acheva Filby.

– Quelle raison ? dit l'Explorateur du Temps.

– Vous pouvez par toutes sortes d'arguments démontrer que le blanc est noir et que le noir est blanc, dit Filby, mais vous ne me convaincrez jamais.

– Peut-être bien, dit l'Explorateur du Temps, mais vous commencez à voir maintenant quel fut l'objet de mes investigations dans la géométrie des quatre Dimensions. Il y a longtemps que j'avais une vague idée d'une machine…

– Pour voyager à travers le Temps ! s'exclama le Très Jeune Homme.

– … qui voyagera indifféremment dans toutes les directions de l'Espace et du Temps, au gré de celui qui la dirige. »

Filby se contenta de rire.

« Mais j'en ai la vérification expérimentale, dit l'Explorateur du Temps.

– Voilà qui serait fameusement commode pour un historien, suggéra le Psychologue. On pourrait retourner en arrière et vérifier par exemple les récits qu'on nous donne de la bataille de Hastings.

– Ne pensez-vous pas que vous attireriez l'attention ? dit le médecin. Nos ancêtres ne toléraient guère l'anachronisme.

– On pourrait apprendre le grec des lèvres mêmes d'Homère et de Platon, pensa le Très Jeune Homme.

– Dans ce cas, ils vous feraient coller certainement à votre premier examen. Les savants allemands ont tellement perfectionné le grec !

– C'est là qu'est l'avenir ! dit le Très Jeune Homme. Pensez donc ! On pourrait placer tout son argent, le laisser s'accumuler à intérêts composés et se lancer en avant !

– À la découverte d'une société édifiée sur une base strictement communiste, dis-je.

– De toutes les théories extravagantes ou fantaisistes… commença le Psychologue.

– Oui, c'est ce qu'il me semblait ; aussi je n'en ai jamais parlé jusqu'à…

– La vérification expérimentale, m'écriai-je. Allez-vous vraiment vérifier cela ?

– L'expérience ! cria Filby qui se sentait la cervelle fatiguée.

– Eh bien, faites-nous voir votre expérience dit le Psychologue, bien que tout cela ne soit qu'une farce, vous savez ! »

L'Explorateur du Temps nous regarda tour à tour en souriant. Puis, toujours avec son léger sourire, et les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il sortit lentement du salon, et nous entendîmes ses pantoufles traîner dans le long passage qui conduisait à son laboratoire.

Le Psychologue nous regarda :

« Je me demande ce qu'il va faire.

– Quelque tour de passe-passe ou d'escamotage », dit le Docteur.

Puis Filby entama l'histoire d'un prestidigitateur qu'il avait vu à Burslem : mais avant même qu'il eût terminé son introduction, l'Explorateur du Temps revint, et l'anecdote en resta là.

Chapitre 2 LA MACHINE

L'OBJET que l'Explorateur du Temps tenait à la main était une espèce de mécanique en métal brillant, à peine plus grande qu'une petite horloge, et très délicatement faite. Certaines parties étaient en ivoire, d'autres en une substance cristalline et transparente.

Il me faut tâcher maintenant d'être extrêmement précis, car ce qui suit – à moins d'accepter sans discussion les théories de l'Explorateur du Temps – est une chose absolument inexplicable. Il prit l'une des petites tables octogonales qui se trouvaient dans tous les coins de la pièce et il la plaça devant la cheminée, avec deux de ses pieds sur le devant du foyer. Sur cette table il plaça son mécanisme. Puis il approcha une chaise et s'assit.

Le seul autre objet sur la table était une petite lampe à abat-jour dont la vive clarté éclairait en plein la machine. Il y avait là aussi une douzaine de bougies, deux dans des appliques, de chaque côté de la cheminée, et plusieurs autres dans des candélabres, de sorte que la pièce était brillamment illuminée. Je m'assis moi-même dans un fauteuil bas, tout près du feu, et je l'attirai en avant, de façon à me trouver presque entre l'Explorateur du Temps et le foyer. Filby s'était assis derrière lui, regardait par-dessus son épaule. Le Docteur et le Provincial l'observaient par côté et à droite ; le Psychologue, à gauche ; le Très Jeune Homme se tenait derrière le Psychologue. Nous étions tous sur le qui-vive ; et il me semble impossible que, dans ces conditions, nous ayons pu être dupes de quelque supercherie.

L'Explorateur du Temps nous regarda tour à tour, puis il considéra sa machine.

« Eh bien ? dit le Psychologue.

– Ce petit objet n'est qu'une maquette, dit l'Explorateur du Temps en posant ses coudes sur la table et joignant ses mains au-dessus de l'appareil. C'est le projet que j'ai fait d'une machine pour voyager à travers le Temps. Vous remarquerez qu'elle a l'air singulièrement louche, et que cette barre scintillante a un aspect bizarre, en quelque sorte irréel – il indiqua la barre avec son doigt. Voici encore ici un petit levier blanc, et là en voilà un autre. »

Le Docteur se leva et examina curieusement la chose.

« C'est admirablement construit, dit-il.

– J'ai mis deux ans à la faire », répondit l'Explorateur du Temps.

Puis, lorsque nous eûmes tous imité le Docteur, il continua :

« Il vous faut maintenant comprendre nettement que ce levier, si on appuie dessus, envoie la machine glisser dans le futur, et que cet autre renverse le mouvement. Cette selle représente le siège de l'Explorateur du Temps. Tout à l'heure je presserai le levier, et la machine partira. Elle s'évanouira, passera dans les temps futurs et ne reparaîtra plus. Regardez-la bien. Examinez aussi la table et rendez-vous compte qu'il n'y a ici aucune supercherie. Je n'ai pas envie de perdre ce modèle pour m'entendre ensuite traiter de charlatan. »

Il y eut un silence d'une minute peut-être. Le Psychologue fut sur le point de me parler, mais il se ravisa. Alors l'Explorateur du Temps avança son doigt vers le levier.

« Non, dit-il tout à coup. Donnez-moi votre main. »

Et se tournant vers le Psychologue, il lui prit la main et lui dit d'étendre l'index. De sorte que ce fut le Psychologue qui, lui-même, mit en route pour son interminable voyage le modèle de la Machine du Temps. Nous vîmes tous le levier s'abaisser. Je suis absolument sûr qu'il n'y eut aucune supercherie. On entendit un petit sifflement et la flamme de la lampe fila. Une des bougies de la cheminée s'éteignit et la petite machine tout à coup oscilla, tourna sur elle-même, devint indistincte, apparut comme un fantôme pendant une seconde peut-être, comme un tourbillon de cuivre scintillant faiblement, puis elle disparut… Sur la table il ne restait plus que la lampe.

Pendant un moment chacun resta silencieux. Puis Filby jura.

Le Psychologue revint de sa stupeur, et tout à coup regarda sous la table. L'Explorateur du Temps éclata de rire gaiement.

« Eh bien ? » dit-il du même ton que le Psychologue. Puis, se levant, il alla vers le pot à tabac sur la cheminée et commença à bourrer sa pipe en nous tournant le dos.

Nous nous regardions tous avec étonnement.

« Dites donc, est-ce que tout cela est sérieux ? dit le Docteur. Croyez-vous sérieusement que cette machine est en train de voyager dans le Temps ?

– Certainement », dit notre ami, en se baissant vers la cheminée pour enflammer une allumette.

Puis il se retourna, en allumant sa pipe, pour regarder en face le Psychologue. Celui-ci, pour bien montrer qu'il n'était nullement troublé, prit un cigare et essaya de l'allumer, sans l'avoir coupé.

« Bien plus, j'ai ici, dit-il en indiquant le laboratoire, une grande machine presque terminée, et quand elle sera complètement montée, j'ai l'intention de faire moi-même avec elle un petit voyage.

– Vous prétendez que votre machine voyage dans l'avenir ? demanda Filby.

– Dans les temps à venir ou dans les temps passés ; ma foi, je ne sais pas bien lesquels. »

Un instant après, le Psychologue eut une inspiration.

« Si elle est allée quelque part, ce doit être dans le passé.

– Pourquoi ? demanda l'Explorateur du Temps.

– Parce que je présume qu'elle ne s'est pas mue dans l'Espace, et si elle voyageait dans l'avenir, elle serait encore ici dans ce moment, puisqu'il lui faudrait parcourir ce moment-ci.

– Mais, dis-je, si elle voyageait dans le passé, elle aurait dû être visible quand nous sommes entrés tout à l'heure dans cette pièce ; de même que jeudi dernier et le jeudi d'avant et ainsi de suite.

– Objections sérieuses, remarqua d'un air d'impartialité le Provincial, en se tournant vers l'Explorateur du Temps.

– Pas du tout », répondit celui-ci.

Puis s'adressant au Psychologue :

« Vous qui êtes un penseur, vous pouvez expliquer cela. C'est du domaine de l'inconscient, de la perception affaiblie.

– Certes oui, dit le Psychologue en nous rassurant. C'est là un point très simple de psychologie. J'aurais dû y penser ; c'est assez évident et cela soutient merveilleusement le paradoxe.

« Nous ne pouvons pas plus voir ni apprécier cette machine que nous ne pouvons voir les rayons d'une roue lancée à toute vitesse ou un boulet lancé à travers l'espace. Si elle s'avance dans le Temps cinquante fois ou cent fois plus vite que nous, si elle parcourt une minute pendant que nous parcourons une seconde, l'impression produite sera naturellement un cinquantième ou un centième de ce qu'elle serait si la machine ne voyageait pas dans le Temps. C'est bien évident. »

Il passa sa main à la place où avait été la machine.

« Comprenez-vous ? » demanda-t-il en riant.

Nous restâmes assis, les yeux fixés sur la table vide, jusqu'à ce que notre ami nous eût demandé ce que nous pensions de tout cela.

« Ça me semble assez plausible, ce soir, dit le Docteur ; mais attendons jusqu'à demain, attendons le bon sens matinal.

– Voulez-vous voir la machine elle-même ? » demanda notre ami.

En disant cela, il prit une lampe et nous entraîna au long du corridor, exposé aux courants d'air, qui menait à son laboratoire. Je me rappelle très vivement la lumière tremblotante, la silhouette de sa grosse tête étrange, la danse des ombres, notre défilé à sa suite, tous ahuris mais incrédules ; et comment aussi nous aperçûmes dans le laboratoire une machine beaucoup plus grande que le petit mécanisme que nous avions vu disparaître sous nos yeux. Elle comprenait des parties de nickel, d'ivoire ; d'autres avaient été limées ou sciées dans le cristal de roche. L'ensemble était à peu près complet, sauf des barres de cristal torses qui restaient inachevées sur un établi, à côté de quelques esquisses et plans ; et j'en pris une pour mieux l'examiner : elle semblait être de quartz.

« Voyons ! dit le Docteur, parlez-vous tout à fait sérieusement ? ou bien n'est-ce qu'une supercherie, comme ce fantôme que vous nous avez fait voir à Noël ?

– J'espère bien, dit notre ami en élevant la lampe, explorer le Temps sur cette machine. Est-ce clair ? Je n'ai jamais été si sérieux de ma vie. »

Aucun de nous ne savait comment prendre cela.

Je rencontrai le regard de Filby par-dessus l'épaule du Docteur ; il eut un solennel clignement de paupières.