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Lawrens Sohre

Électrons libres

Tome I

Détectée fibromyalgique depuis des années, je dédie ce roman au Dr Collard Olivier ainsi qu’à toute son équipe du Centre de la Douleur de Sainte-Clotilde de Saint-Denis de La Réunion.

Sans leur bienveillance et leur écoute, ce roman n’aurait jamais vu le jour

CHAPITRE 1
Mia

« Je veux croire qu’après un drame, un traumatisme, le meilleur reste encore à venir… »

8 heures du matin. Après 10 000 kilomètres et 12 heures de vol, mon avion atterrit à Paris. J’ai quitté mon île pour faire des examens complémentaires uniquement faisables sur Paris qui pourront peut-être confirmer mon syndrome chronique qui me tord de douleurs sans répit depuis des années.

Mon rendez-vous à l’hôpital est à 15 heures.

L’air est doux en ce début d’automne. J’adore cette saison que je ne connais plus dans mon île tropicale où l’été est sans fin. Je me réjouis de déambuler dans les rues et profiter de Paris juste avant mon hospitalisation pour trois jours. Je décide de me rendre dans un grand magasin réputé dont je rêve depuis des années de flâner dans les rayons.

J’arpente les rayons avec l’intention de m’offrir quelques accessoires pour compléter mes tenues.

*

J’entends des bruits sourds, des coups de feu fusent. Je vois des hommes armés entrer, tirant au hasard. Ils ne sont même pas cagoulés.

Le chaos total. Je me situe vers l’arrière du magasin, je me jette à terre par réflexe, je me glisse au sol sous des étalages, dissimulée par des boîtes de chocolats tombées au sol en me cachant.

Derrière moi se trouve une issue de secours, la porte est en fer… Si nous étions plusieurs, nous aurions pu tenter de sortir d’un seul coup. Je me retrouve seule, je n’aurai pas assez de force pour pousser cette porte, surtout allongée sur le sol.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis dans ma planque, je n’ai plus la notion du temps.

Seul le contrôle de ma respiration compte pour ne pas être remarquée à l’approche des preneurs d’otages qui font les cent pas.

Je sais qu’ils n’ont pas de pitié. D’où je suis, j’aperçois des corps sans vie, j’entends des menaces sur ceux qui sanglotent.

Un silence de plomb, entrecoupé de téléphones portables qui sonnent sans cesse et dans le vide.

Qu’est-ce que j’ai fait pour me retrouver là ? Je vis un cauchemar de plus. La vie ne m’épargnera donc jamais ? Je n’ai prévenu personne de ma famille de métropole de mon déplacement. Je voulais leur faire la surprise après mes examens.

Un homme s’adosse au rayon en-dessous duquel je suis cachée. Il s’assied à ma proximité, il trouve mon sac à main et un sac de voyage. Je n’ai pas osé étendre mon bras pour atteindre mon sac, mon portable aurait pu m’être utile. Pourvu qu’un autre otage puisse le faire !

Eh merde ! L’homme s’empare de mon iPhone et de mon ordinateur portable. Jamais je ne les récupérerai si je sors de là vivante. Il appelle son compère pour lui remettre les appareils. Il ne bouge pas, je l’entends s’assoupir un instant. J’ai sous mes yeux la ceinture d’explosifs, deux armes à sa ceinture, une kalachnikov à la main. Je n’ai rien à perdre, je réussis à subtiliser une de ses armes que je mets dans la poche de ma veste à la hâte. Il ne s’en aperçoit pas avec sa couche de tissu.

En fouillant dans mon téléphone, il regarde les photos et cherche une ressemblance. Il revient sur ses pas, ne me voit pas dans le local.

Je tremble. Il commence à chercher, il me donne un coup de pied sous l’étalage, j’émets un petit cri, il s’accroupit, m’extrait de ma cachette en me tirant par les cheveux comme une traînée.

Il marmonne et me donne frappe violemment avec la kalachnikov. Je tombe au sol sur les fesses, je tente d’entreprendre une conversation malgré les coups. Il est évident qu’il n’est pas dans son état normal, drogué et prêt à mourir pour le paradis des djihadistes. Je comprends qu’il attend les ordres pour déclencher sa ceinture…

Il recule, s’accroupit en me regardant. Assise au sol, je suis sa cible. Il prend son temps pour que je comprenne bien que ma mort est imminente. Ma vie défile devant mes yeux, tout ce que j’aurai voulu dire à ma famille, mes amis… Des coups partent, je sens ma hanche droite exploser, je viens de prendre deux balles.

Je réplique instinctivement avec mon arme à la main, ne sachant pas elle est chargée. Les coups partent, il s’effondre devant moi la tête en sang. Je baisse mon arme. Je crois qu’il est mort… J’ai tué un homme ?

Je n’ai jamais utilisé d’arme de ma vie auparavant.

Je vois un autre kamikaze se diriger vers moi, prêt à se faire exploser, le temps de penser que cette fois-ci je ne m’en sortirai pas, des tirs sifflent près de mes oreilles venant de derrière et l’homme s’effondre.

Des bruits sourds, des cris et des tirs fusent de toute part, je ne peux plus me lever, j’arrive à m’appuyer sur mes coudes. Une main gantée se pose avec force sur ma bouche me tirant vers l’arrière, surprise, je résiste. L’homme m’ordonne ne me taire pour ma sécurité. Il me dit « GIGN » pour me rassurer. De sa main droite, il me prend doucement l’arme que je tiens, les doigts tétanisés.

Je comprends que l’assaut vient d’être donné. Entre terreur et soulagement, je comprends que c’est la fin du cauchemar. Je vois d’autres hommes cagoulés sortir de l’issue de secours, d’autres entrer par le toit.

Pour la première fois, je me sens à l’abri. Je ne fais plus attention à ce qui se passe autour de moi.

Je perds beaucoup de sang.

L’homme du GIGN libère sa main de ma bouche. Il me parle doucement et me soutient du regard me demandant de tenir bon.

Les secours sont déjà sur place. On va vous sortir de là.

Je ne réponds pas, incapable de prononcer un mot. Seuls ses yeux émeraude sont visibles. Je suis incapable de quitter son regard, hypnotisée. Il m’a sauvé la vie. J’aurais pu mourir dans les échanges de tirs pendant l’assaut entre kamikazes et forces de l’ordre.

J’avais fait abstraction de ma douleur qui me rattrape, j’ai très soif, je sens mon corps me lâcher petit à petit.

Les tirs cessent. Un silence pesant envahi l’espace. L’instant d’après, je comprends que tout est terminé, les preneurs d’otages ont apparemment été abattus. Les personnes valides sont évacuées vers l’extérieur pour laisser place aux équipes médicales.

J’attends avec mon mystérieux sauveteur que l’on me prenne en charge. Ma blessure est importante.

Il me parle sans cesse pour me rassurer, je n’écoute pas vraiment ce qu’il me dit, j’écoute seulement le son de sa voix qui me rassure.

Comment pourrais-je vous remercier de m’avoir sauvé la vie ?

Vous venez de le faire. Une fois évacuée, vous n’aurez aucun moyen de me remercier. Je fais mon devoir, défendre et sauver les citoyens en danger.

Je m’agite soudain d’une prise de conscience en criant :

Je l’ai tué ? J’ai tiré ! J’ai juste voulu me défendre ! Je ne veux pas finir en prison ! Non ! Ce n’est pas possible ! Je ne veux pas…

Les larmes coulent comme un torrent, mes nerfs lâchent. J’entends des pleurs de toute part, des cris de soulagement. Les otages prennent conscience que c’est terminé et la tension générale se relâche.

C’était de la légitime défense. Il n’a pas hésité à vous prendre pour cible. Vous vous en sortirez, vous êtes forte, vous avez eu le cran de subtiliser cette arme pour sauver votre peau, et sans le savoir, vous avez fait bien plus.

Mes empreintes ! L’arme ! Non !

Il me serre dans ses bras, me berce pour me calmer avec des mots rassurants tout en demandant une civière de toute urgence, il est relié par radio avec ses autres confrères.

Sa grande carrure me rassure. Je me calme et je me mure dans un silence. Son regard rencontre le mien, je me sens bien malgré la douleur insoutenable.

Les secours me prennent en charge. À l’extérieur, l’atmosphère est pesante, étouffante, je suis submergée par l’émotion, la douleur, je suis à bout.

L’homme du GIGN nous accompagne jusqu’à l’ambulance pour donner toutes les informations me concernant au médecin. Installée sur la civière, il s’approche vers moi, me serrant le bras chaleureusement. Il me souhaite bonne chance pour la suite, son regard me transperce une fois de plus. Je lui dis encore merci très faiblement, je ressens un vide en moi, je perds connaissance ou le coma, je ne sais pas trop. Plus rien n’a d’importance…

CHAPITRE 2
Arthur

À peine le débriefing terminé de l’attentat, mon portable ne cesse de vibrer, une dizaine de messages me demandant de me rendre le plus vite possible à l’hôpital.

Je suis chirurgien plasticien. Je me suis spécialisé dans les blessures de guerre, pensant me rendre utile en retournant en Afghanistan ou un autre pays en guerre.

J’ai mis ma carrière entre parenthèses, fatigué d’entendre se plaindre à longueur de journée des patients richissimes dans la clinique spécialisée où j’ai ouvert mon service de chirurgie esthétique et réparatrice il y a quelques années à Chateaumazzi.

D’autres confrères compétents peuvent prendre la relève, dont John, mon meilleur ami.

J’ai trouvé un arrangement pour intégrer les entraînements auprès du GIGN afin de me préparer à défendre les populations en danger.

Je n’aurais pas dû être là, sur les lieux de l’attentat. Nous étions en entraînement lorsque nous avons été avertis de la prise d’otages. Les effectifs devant être au maximum, j’ai accepté d’être en renfort et je n’ai pas été déçu, la guerre dans mon propre pays…

Cela dit, mes entraînements au GIGN sont confidentiels et ne doivent en aucun cas transparaître dans ma vie quotidienne et encore moins professionnelle.

Merci d’être venu en renfort, Dr Chevalier. Une chance que vous soyez à Paris !

De rien Dr Rigor, ma place est ici, le temps nécessaire. J’ai déjà opéré quelques blessés en urgence, certains pourront rentrer chez eux dès demain en leur prescrivant un suivi psychologique. D’autres peuvent être transférés dans des hôpitaux proches de leur domicile. Malheureusement, deux personnes n’ont pas survécu…

Le Dr Rigor me conduit en soins intensifs.

Nous avons placé cette femme dans un coma artificiel pour lui éviter trop de souffrance, tant physique que psychique. Son pronostic vital est engagé, il faut retirer les deux projectiles au plus vite. Les balles ont traversé depuis l’intérieur de la cuisse et se sont logées au niveau de la hanche droite.

*

Je prends connaissance du dossier quelques minutes avant d’entrer en soins intensifs. J’attends les résultats du labo pour opérer. Le bloc est prêt, le temps presse.

Nous n’avons aucune information de cette femme, ni son nom, juste une blessure qui met sa vie en danger. Dans ces drames, les affaires personnelles des otages ne sont pas systématiquement ramassées de suite.

Le Dr Rigor part donner les instructions pour le bloc opératoire.

Je m’approche du lit de la patiente. Je reste sans voix. Je reconnais la femme à qui j’ai sauvé la vie il y a à peine quelques heures. Son visage au teint hâlé paraît plus serein que quelques heures auparavant, malgré les hématomes. Revenait-elle de vacances ? Je ne peux m’empêcher de caresser sa joue en lui intimant à l’oreille de rester forte. Un étrange hasard vient de se produire.

Je me repasse le film dans ma tête. J’étais en planque derrière l’issue de secours, attendant l’ordre de l’assaut.

Tout va très vite, je revois la scène au moment où le kamikaze tire sur cette femme et où elle réplique avec une arme sortant de je ne sais où… L’assaut est donné, je tire à vue, visant la tête du kamikaze qui s’effondre, il s’approchait dangereusement de la femme. Je lui ai sauvé la vie de justesse.

Elle était au sol, tenait difficilement sur ses coudes, je lui ai mis ma main devant la bouche pour qu’elle ne crie pas tout en la rassurant. Son regard bleu intense me fixait. Un regard perdu, effrayé. Je pouvais y lire toute l’horreur qu’elle venait d’endurer. Je l’ai rassurée suite à ses propos plus ou moins incohérents. Le plus important était que les secours arrivent vite, très vite… Je l’ai accompagnée jusqu’à l’ambulance où elle m’a encore remercié. Je l’ai laissée partir avec regrets. Mon devoir s’arrêtait là, mais son visage hâlé, ses longs cheveux châtain clair et surtout son regard resteront longtemps gravés dans ma mémoire.

Je me reprends. Le plus important est de lui permettre de retrouver une vie normale, sachant que sa vie ne sera plus jamais la même après avoir frôlé la mort de cette façon. Les symptômes post-traumatiques sont lourds de conséquences que je me devrais de lui énumérer au moment venu.

Je sors des soins intensifs. Je me prépare pour entrer au bloc opératoire.

*

À moi de jouer ! Je ne suis pas serein, les images me reviennent sans cesse. Il est vrai que les chirurgiens n’aiment pas opérer des personnes proches ou connaissances. Chirurgie et affectif ne font pas bon ménage.

Je ne la connais pas, et pourtant, elle fait partie de ma vie. Des liens indescriptibles se sont tissés en quelques instants.

L’opération dure plusieurs heures. Les deux balles délicates à extraire ont fait pas mal de dégâts. Le pronostic vital n’est plus engagé. Une seconde opération sera certainement nécessaire dans quelques semaines.

Je dois continuer mon travail vers d’autres patients, laissant à regret mon inconnue.

*

Les blessés opérés ne sortiront pas de sitôt, dont ma belle inconnue.

Je n’ai rien de prévu pour les semaines à venir, mis à part l’attente d’un départ pour l’étranger. On peut dire que la guerre est venue à nous avec les attentats qui nous frappent en France.

Je propose presque naturellement de rester le temps qu’il faudra dans cet hôpital tant que ma présence sera nécessaire. Ma sœur Carla habite Paris, où je peux loger.

Je dis « presque », parce que je n’ai qu’une envie : suivre l’évolution de ma protégée dont je ne sais rien. Je ne pourrai pas lui dire que je lui ai sauvé la vie ce matin, je n’en ai pas le droit. Elle saura uniquement que je lui ai sauvé la vie en l’opérant en tant que chirurgien.

Sauver la vie deux fois en une journée, ce n’est pas banal.

Des doutes s’installent… Et si elle me reconnaissait ? Ce n’est pas possible, lors des missions d’assaut, nous sommes équipés de façon à être le plus anonymes possible… Mais nos regards échangés gravés dans ma mémoire le seront-ils pour elle ?

CHAPITRE 3
Mia

J’entends des bruits d’appareils, des voix qui parlent doucement. Je veux bouger, mais impossible de bouger mon corps. Je veux parler, ma bouche ne s’articule pas, mes yeux ne s’ouvrent pas. Où suis-je ? Je suis dans le néant complet.

Je mets du temps à comprendre, des images défilent, des tirs, des cris, la prise d’otages, une explosion, une voix rassurante.

Les idées se remettent dans l’ordre. Je suis dans un hôpital, mon corps est endolori.

Le coma, non ! Je ne veux pas être enfermée dans ce corps qui me fait déjà tant souffrir ! Mon âme enfermée ! Je me bats depuis tant d’années pour libérer mon esprit et mon corps de tout le négatif de la vie ! Je préfère mourir que de supporter cela ! Débranchez-moi ! Débranchez-moi !

Personne ne m’entend. Je suis allongée sagement sur un lit, branchée à des appareils contre mon gré. Tout ce qu’il ne me fallait pas.

Je continue en colère :

Je voyais enfin le bout du tunnel, il faut croire que je n’ai pas droit à la lumière… Tant qu’à bien faire, faites-moi voir la lumière qui m’attirera vers l’au-delà. Je n’ai jamais eu peur de la mort, allez ! Viens me chercher ! Qu’on en finisse avec cette vie de merde !

*

Je sombre par moments dans un profond sommeil entrecoupé de « réveils ». Je m’aperçois petit à petit que je sors de cette léthargie. J’entends toujours ces voix, mais je n’arrive pas à me concentrer pour les écouter de manière compréhensible. J’en reconnais une particulièrement, mais je n’arrive pas à savoir où j’ai bien pu l’entendre…

Je ressens également l’effet d’une plume me caresse la joue ou le bras, par intermittence mais régulièrement.

*

Le jour où je reprends connaissance, je ne sais pas trop où je suis, une chambre dans la pénombre pour habituer mes yeux petit à petit à la luminosité.

Je suis entourée de divers appareils, mais je ne suis que perfusée. Je me souviens avoir été entubée, un masque respiratoire, c’est flou.

Un médecin, assisté d’une infirmière, me fait divers examens de principe pour voir ma réaction à mon réveil.

Il me dit que le médecin qui m’a opéré passera plus tard.

Je vois deux personnes assises en retrait. Je reconnais mes sœurs. Lina et Sophia, qui attendent avec impatience de pouvoir me parler. Elles semblent émues, les traits tirés certainement dus à une longue attente et beaucoup d’inquiétude.

Elles s’approchent du lit, sourires et larmes de soulagement mêlés.

J’entends leurs deux voix à l’unisson

Tu nous a tellement manqué !

Un long silence entre nous trois. Personne n’ose reprendre la parole.

J’ai soif, très soif et un « je suis désolée ».

Mes lèvres ont dû mal à s’articuler.

Une infirmière me fait boire à l’aide d’une paille. Je crois que je n’ai jamais autant apprécié quelques gorgées d’eau ! Même le meilleur des champagnes (mon péché mignon lors d’un événement à fêter) n’a jamais eu la même saveur.

Je suis regardée comme une extraterrestre par mes sœurs et le personnel soignant. Je ne réalise absolument pas ce que je viens de vivre, et combien de temps ai-je dormi ? Je pense que mon réveil n’était pas du tout acquis.

Hé, les Sisters ! Je suis réveillée ! Tout va bien !

Je dis cela avec un faible sourire et sur un ton neutre.

Nous avons eu tellement peur lorsque nous avons été prévenues par le Quai d’Orsay. Tu étais déjà dans cet hôpital depuis cinq jours. Il a fallu tout ce temps pour connaître ton identité. Pourquoi n’as-tu rien dit sur ta venue ?

Je voulais arriver par surprise après mes tests médicaux à Paris.

Mes larmes coulent sur mes joues, je prends petit à petit conscience de l’angoisse que j’ai infligé à mon entourage.

Depuis combien de jours suis-je dans cet hôpital ?

Lina me répond :

Tu es restée dans le coma plus de deux semaines sans aucune certitude sur ton réveil et…

Le médecin intervient poliment en demandant à mes sœurs de revenir le lendemain. Il explique que j’ai besoin de calme et de repos. Que des examens vont être passés. Que le moment est inapproprié pour entreprendre une discussion sur les faits.

Elles me quittent en m’embrassant, me disant à demain. Elles ouvrent la porte, je les interpelle avec un timide sourire :

J’aimerais bien du chocolat noir.

Je vois un sourire franc sur leur visage. Elles reviennent m’embrasser malgré l’impatience du médecin.

Tout ce que tu voudras petite sœur. On t’aime. À demain !

Pour l’instant, je n’ai qu’une envie, dormir d’un sommeil naturel et réparateur pour prendre des forces. J’ai la nette impression que le futur proche sera une montagne à escalader, qu’il va me falloir être bien équipée, comme un alpiniste pour atteindre le sommet et surtout éviter de dévisser pour toucher le fond… Je sais trop bien ce que toucher le fond veut dire. J’ai toujours su taper du pied pour remonter. Cette fois-ci, ce qui me revient à l’esprit est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et cette goutte n’est pas très loin.

CHAPITRE 4
Arthur

Les journées devraient avoir plus de 24 heures.

Les jours suivant l’attentat, j’ai enchaîné les opérations, n’ayant pas le temps de me soucier de l’état mental de mes patients. Je déteste cela, mais la situation ne le permet pas.

Je suis habitué à la chirurgie esthétique et réparatrice. Même la plus vilaine blessure par accident du travail ou de voiture n’a jamais égalé ce que j’ai vu en si peu de temps… autant de blessures par balles, les écrous des ceintures d’explosifs des kamikazes dans ces corps meurtris, des coups de couteau, des corps tabassés. Comment un tel carnage a-t-il pu se produire en France ? Mon pays !

En même temps, je me sens utile.

Lorsque j’ai décidé de devenir médecin, aider mon prochain était mon premier but, je voulais partir en missions humanitaires.

Mon père s’y est farouchement opposé. Au moment de choisir ma spécialisation, il m’a imposé une médecine « propre », à ses dires.

Ses mots résonnent encore dans ma tête :

Mon fils, ton rang ne te permet pas de mettre ta vie en danger. Nous versons suffisamment de dons et nous nous rendons à plusieurs soirées caritatives chaque année. Ta place est ici, en France, en Europe, passe encore les États-Unis si tu y tiens. Soit tu m’écoutes, soit tu sors de ma vie et je ferai en sorte de te couper les vivres. N’oublie pas que tu es l’aîné et que c’est toi qui reprendras le flambeau avec ton frère de la gestion du patrimoine familial. Tu ne pourrais donc pas te contenter de travailler avec ton frère et moi ?

J’étais jeune et j’ai cédé à sa requête, choisir radiologue ou chirurgien plasticien pour rester dans notre univers confortable.

J’ai eu mon bac à 17 ans par correspondance. J’habitais Riyad depuis quelque temps, une longue histoire. J’ai été médecin généraliste à 25 ans.

Je n’avais pas envie d’être dans le moule à 30 ans.

Avant de commencer ma spécialisation, je me suis engagé dans la marine nationale pendant trois ans par contradiction paternelle. Ce besoin de savoir me défendre, de combattre, de devenir un homme et me décoller de cette étiquette de golden boy.

Ces salauds de terroristes n’ont pas fait de cadeaux. Ils ont tiré sur tous ceux qui bougeaient. La plupart des rescapés blessés ont simulé leur mort, restant inertes pendant de longues heures. Ils ont, pour certains, enduré la douleur sans pouvoir se donner le droit d’émettre un son.

Heureusement que le corps médical est solidaire dans ces épreuves, ceux qui étaient en repos, voire en vacances, sont venus aider naturellement sans compter leurs heures.

*

La police ne cesse les va-et-vient. Ils viennent interroger les patients.

Aujourd’hui, le Premier ministre vient donner son soutien au personnel et encourager les blessés. On n’avait pas besoin de ce stress en plus !

Avec d’autres chirurgiens, nous nous relayons. Je ne prends pas le temps d’aller dormir chez ma sœur les quatre premiers jours. Je dors quelques heures dans des salles de repos installées pour le personnel soignant.

Dès que j’ai un moment à moi, je rends visite à mon inconnue toujours en soins intensifs. Son pronostic vital n’est plus engagé, mais elle est toujours dans le coma. L’opération a permis d’extraire les deux balles, l’une logée dans l’os iliaque droit, l’autre ayant traversé jusqu’à la cage thoracique en perforant et frôlant au passage certains organes. Le matériel actuel permet d’éviter trop d’incisions. Il était inutile de s’attarder sur l’esthétique pour l’instant. Une ou deux opérations seront encore nécessaires.

Je reste à ses côtés de longues minutes.

Je lui parle en espérant qu’elle entende mes mots. Je lui dis qu’elle s’en sortira. Je lui promets de la suivre jusqu’à sa guérison, que la vie reprendra son cours avec le temps. Je lui prends régulièrement la main, lui caresse la joue, le bras en espérant la voir réagir à mes gestes.

Mon dieu qu’elle est belle ! Même abîmée au visage des coups reçus, elle a quelque chose qui me touche personnellement. C’est une belle personne, j’en suis certain. J’ai le sentiment qu’elle a beaucoup souffert. Je l’ai ressenti lorsque je l’avais dans mes bras sur le lieu de l’attentat. Pour avoir eu le cran de dérober une arme au kamikaze et lui tirer dessus presque de sang-froid… Ça sent le vécu.

Personne ne s’est manifesté, étant donné que nous ne savions rien sur elle. Je me sens responsable, ayant partagé de terribles instants sur le lieu de l’attentat.

Cinq jours ont été nécessaires pour l’identifier. Les effets personnels des otages ont été récupérés par la police et minutieusement examinés. C’est son iPhone qui a permis de remonter sa trace avec des photos.

Chaque information, photo ou renseignements sont communiqués dans les hôpitaux qui ont accueilli les blessés, et en collaboration étroite avec le Quai d’Orsay, les corps des décédés sont rapidement identifiés et remis à leur famille. Quelle tristesse !

Dès que je l’ai reconnue sur les photos, dont l’une souriante sur un catamaran, j’ai contacté la police qui a de suite fouillé dans l’iPhone, notamment sur ses comptes de réseaux sociaux qui ont permis de mettre un nom sur son visage et des contacts familiaux.

J’ai appelé personnellement l’une de ses sœurs qui a pris le relais pour les personnes à prévenir de la situation et m’informant qu’elle arrivait aussi vite que possible.

Ses deux sœurs Lina et Sophia sont arrivées dès le lendemain. Elles se ressemblent toutes les trois. Mia est la cadette.

Je leur raconte les faits depuis le début. Le ministère de l’Intérieur prendra en charge leur hôtel le temps qu’il faudra.

En dix jours, j’ai sympathisé avec elles. Elles me parlent de Mia, c’est la petite sœur qui a voulu parcourir le monde après le décès de leur maman. Elles m’avouent que depuis son départ de métropole, elles ne savent ce que Mia veut bien leur raconter, même si elles lui ont déjà rendu visite.

Elle s’appelle Mia Soreh. J’apprends qu’elle habite à 10 000 kilomètres de Paris.

Une fois son identité enfin révélée et fait le nécessaire pour avertir ses proches, j’ai l’impression qu’elle m’échappe.

Je m’étais inconsciemment habitué à mon inconnue, cinq jours, seul à prendre soin d’elle.

D’un côté, c’est une bonne nouvelle qu’elle retrouve ses proches. Dès qu’elle ira mieux, nos chemins se sépareront et chacun reprendra sa petite vie.

CHAPITRE 5
Mia

J’ai encore dormi toute la soirée et la nuit depuis le départ de mes sœurs. Je pense que l’on m’a encore un peu aidée, car mon sommeil m’a paru sans rêves, vide. Ou est-ce moi qui me suis mise en « mode enfouissage » pour retarder la réalité ?

Ce matin, je me sens mieux. Une infirmière souriante m’installe correctement, elle se retourne pour prendre un plateau de petit-déjeuner et me le déposer sur ma tablette.

Nourrie à la sonde depuis deux semaines, seule de la nourriture liquide et molle m’est proposée. J’avoue que même si ce n’est pas réjouissant, j’ai faim et mange avec envie, mais je suis vite rassasiée.

Après avoir débarrassé le plateau, elle me fait ma toilette, qui me fait penser à Louis xiv qui aimait que les sujets s’occupent de lui jusqu’à lui torcher le derrière depuis sa chaise sans fond. Beurk !

Je lui demande quand est-ce que je pourrai me lever. Elle lève juste les yeux pour me regarder tout en continuant les soins.

Je pense que ce n’est pas pour aujourd’hui. Le chirurgien qui vous a opéré ne va pas tarder. Il répondra à toutes vos questions.

Elle me dit à plus tard.

Je n’ai pas le temps de me perdre dans mes pensées que je m’assoupis.

*

J’entends la porte s’ouvrir. Je sens une présence à mes côtés.

Bonjour ! La Belle au Bois Dormant s’est enfin décidée à sortir de son sommeil ?

J’ouvre un œil, puis le deuxième. Je crois que mes yeux se sont écarquillés en un demi-battement de cils.

Si c’est bien le chirurgien, je veux bien être opérée tous les jours. Ma conscience me tape sur la tête, me soufflant que ce n’est pas nécessaire.

Est-ce que je suis sortie du coma ou est-ce un rêve ? À regarder de plus près, il a des cernes et semble fatigué très certainement d’une lourde charge de travail.

Je reviens sur terre et tout me revient en pleine figure.

Bonjour. Je pense que j’ai dormi pour les mois à venir. On repassera pour la Belle au Bois Dormant. Je dois plus ressembler à Cruella, et je ne veux même pas me voir dans le miroir de la belle-mère de Blanche-Neige.

J’écrirai dans votre dossier en grosse lettre le mot « humour », me dit-il en souriant.

Sa voix grave, assurée, et ce regard ! D’un vert émeraude, des yeux en amande, un visage d’ange, des cheveux châtain clair en bataille, un bon mètre quatre-vingt-dix et sa tenue bleue de bloc opératoire lui donne une allure folle !

Enfin un peu de douceur dans ce monde de brutes !

Vous êtes avec moi ? À quoi pensez-vous ?

Heu… J’étais ailleurs. Je suis un peu perdue.

Il soutient mon regard pour que je ne reparte pas dans mon monde.

Je me présente : Dr Arthur Chevalier. Je vous ai opérée à votre arrivée. Mon confrère m’a fait part de votre réveil en mon absence. Il m’a également confié ne pas avoir ouvert de discussion, ni posé de questions sur le pourquoi vous êtes ici. Il va falloir que l’on prenne le temps de discuter de votre état de santé. Je vous rassure, il est stable. Le plus important est que vous soyez bel et bien sortie du coma, apparemment sans séquelles. Il vous faut beaucoup de repos.

Il continue son monologue :

J’ai beaucoup de questions en suspens, mais je souhaiterais que vous me disiez en premier ce qu’il vous vient à l’esprit. J’ai besoin d’avoir votre point de vue pour évaluer ce dont vous pourriez vous souvenir ou pas…

Je lui coupe la parole

Vous me demandez de me jeter dans le vide sans filet, sans repère et sans indice ? De parler de tout et de rien ?

C’est tout à fait ça. C’est le seul moyen d’évaluer votre mémoire et vos souvenirs avant le coma. Vous avez le temps, votre convalescence sera longue. Je resterai disponible le temps qu’il faudra. J’ai proposé à vos sœurs de servir de lien entre elles et vous. Bien sûr avec votre accord.

Je le regarde. Il a perdu son sourire, le ton de ses paroles est plus grave.

Je réalise que le combat contre moi-même ne fait que commencer. Mon humour a disparu pour faire place à l’inquiétude.

CHAPITRE 6
Arthur

Entre l’hôpital, les débriefings au GIGN, je suis épuisé. L’hôpital militaire m’a ordonné de ne pas revenir pendant 48 heures.

L’enquête avance rapidement. Deux kamikazes ont pris la fuite. Les papiers d’identité de Mia n’ont pas été retrouvés, ni son ordinateur. Bien que les djihadistes ne soient pas du style à revenir sur leurs pas, je m’inquiète tout de même du fait que Mia ait tué l’un des leurs. Elle a été vue par celui que j’ai abattu, mais le doute persiste, un autre aurait pu voir la scène. Certains otages ont raconté la voir tirer. Une enquête sera menée.

Je dors chez ma sœur qui habite Paris. Je pourrais aller à l’hôtel, mais on se voit tellement peu que loger chez elle est toujours une récréation. Carla est la cadette. Une femme enjouée avec deux magnifiques fillettes de 8 et 6 ans, Lou et Léa.

J’adore mes nièces, je suis leur tonton préféré, le « tonton sauveur » comme elles me surnomment.

Carla est séparée de son mari depuis un an. Il n’a pas supporté son rang. Les soirées obligatoires pour diverses causes l’ont rendu d’une jalousie excessive. Son épouse, ma sœur, trop souvent mise en avant à son goût, il aurait voulu la voir rester à la maison. Dès qu’un bel homme l’approchait, il lui faisait une scène de jalousie de retour chez eux. Excédée, elle lui a demandé de choisir entre elle et le poste de dirigeant de l’une des filiales de notre famille, cadeau de mariage de notre père. Il a choisi son travail, où il excelle.

Cela dit, les filles le vivent bien. Il a acquis un appartement à deux rues de ma sœur pour ne pas perturber leur quotidien et qu’elles puissent voir leur père tous les jours.

*

Après avoir profité d’une journée et une soirée avec mes trois princesses, je m’effondre sur le lit dans « ma » chambre d’amis. Je me répète qu’aucune femme n’entrera dans ma vie. Je la rendrais malheureuse, et puis, mes aventures sans lendemain me conviennent parfaitement.

Quand je sors, je cherche une proie, ou une femme si vous préférez… bien que, pas besoin de bouger, elles s’agglutinent comme des mouches. En fait de soirée, j’en choisis une, lui offre une nuit à l’hôtel avec un principe : ne jamais allumer la lumière, même tamisée. Je ne veux pas de leur regard avec leurs battements de cils de charmeuses et si je peux éviter d’être reconnu, c’est aussi bien.

Je quitte toujours l’hôtel avant le lever du jour, je ne veux aucun sentiment, aucune attache. Bon, elles se réveillent sans moi mais dans un quatre étoiles avec un magnifique petit-déjeuner, c’est plutôt bien pour une aventure d’un soir, non ? C’est mieux que d’être laissée en plan dans la rue.

Non pas que je sois une personnalité importante, mais dans mon milieu guindé, présent sur les galas de charité ou congrès médicaux, j’apparais toujours seul, sans femme à mon bras. Un article pourrait paraître dans l’un de ces torchons à scandales.

Je suis une énigme pour ceux qui ne me connaissent pas et ma vie privée ne regarde personne.

Mon comportement fait régulièrement sortir mon père de ses gonds. Celui-ci attend désespérément que je me marie, avec des petits enfants à la clé. Je devrais me sacrifier pour la descendance même avec une femme dont je ne serai pas amoureux. Je n’en vois pas l’intérêt, au diable la descendance… Mon frère Louis a deux garçons. La relève est là. Comment mon père peut-il espérer que je me plie à ses exigences après ce que j’ai vécu et dont il est en partie responsable ?

Et pourtant, Mia ne quitte pas mes pensées. Je pensais l’oublier au moins partiellement en sortant du contexte hospitalier. L’envie de prendre de ses nouvelles me traverse souvent l’esprit, je me retiens. Pour quelle raison le ferais-je ? S’il y avait du nouveau, je serai prévenu.

*

J’ai enfin trouvé le sommeil d’épuisement. J’ai presque fait le tour du quadrant, une première ! Je dors très peu habituellement. J’ai vaguement entendu sonner mon iPhone, mais le sommeil était tellement lourd que je n’ai décroché pour personne.

Plusieurs messages dont un de l’hôpital du Dr Rigor envoyé depuis plus de quatre heures. Je m’en veux de ne pas avoir entendu mon iPhone. « Mia est sortie du coma il y a une heure environ. Appelez-moi dès que possible. »

Je suis heureux de cette bonne nouvelle, je regrette de ne pas avoir été à ses côtés à son réveil.

Je rappelle tout de suite. Le Dr Rigor me confirme son réveil. Elle a reconnu ses deux sœurs, elle parle avec cohérence. Il me dit de ne pas me déplacer. Elle dort. Il est 21 heures, je hâte de reprendre le travail demain matin.

Je passe la soirée avec ma sœur lui annonçant la bonne nouvelle. Elle paraît étonnée que je parle d’une patiente, ce que je ne fais jamais. J’ai toujours séparé vie privée et vie professionnelle. Je mets cela sur le compte de l’attentat. On se sent plus proche de ces blessés qui n’ont rien demandé, alors qu’ils faisaient leur shopping !

Je me couche en pensant à Mia. Je vais la revoir, lui parler, l’amener à parler des souvenirs de l’attentat. L’angoisse monte. Va-t-elle reconnaître mon regard ?

Si un doute survient, je pense qu’il serait judicieux d’en informer l’hôpital militaire avec l’accord du GIGN de ma participation à l’assaut, que je lui ai sauvé la vie. Je n’aurai pas d’autre choix.

Je m’endors avec le souvenir de son regard. Pourquoi est-elle dans mes pensées continuellement ? Qu’a-t-elle plus qu’une autre ?

CHAPITRE 7
Arthur

J’ouvre la porte doucement. Elle est là, endormie. Elle a pris sa première collation, c’est une bonne nouvelle.

Je m’assois à son chevet. J’attends qu’elle se réveille d’elle-même.

Je la regarde. Je n’ose pas lui caresser le bras comme je le faisais pendant son coma, ni lui parler à l’oreille, pourtant j’en ai envie. Si elle s’éveille à ce moment-là, ce geste lui paraîtra déplacé.

Je ne suis qu’un étranger, le chirurgien qui l’a prise en charge, lorsqu’elle ouvrira les yeux.

Elle soupire, ouvre doucement ses yeux. Son regard plonge dans le mien, j’ai juste l’impression de continuer ce qui s’était arrêté lorsque je l’ai quitté dans le Samu.

Je lui souris. Je préfère jouer sur le ton de l’humour que celui du médecin sérieux.

Bonjour ! La belle au bois dormant s’est enfin décidée à sortir de son sommeil ?

Après un silence, elle me fixe et elle me répond sur le même ton :

Bonjour. Je pense que j’ai dormi pour les mois à venir. On repassera pour la Belle au Bois Dormant. Je dois plus ressembler à Cruella, et je ne veux même pas me voir dans le miroir de la belle-mère de Blanche-Neige.

Je suis ravi et rassuré de cette réponse du tac au tac. Je la fais sourire en indiquant que la première notation dans son dossier serait le mot « humour ».

Je l’observe. La bonne humeur retombe comme un soufflet. Elle est ailleurs. Je lui demande à quoi elle pense. Elle me répond être un peu perdue.

Je me présente, Dr Arthur Chevalier, chirurgien vacant à l’hôpital militaire venu en renfort (je ne prononce pas volontairement le mot attentat). Je lui dis être ravi de voir enfin son regard et entendre le son de sa voix. D’habitude un mensonge ne me fait pas peur, mais là, j’ai juste l’impression que ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

Je la rassure sur son état de santé, ne lui cachant pas que la convalescence sera longue.

Lorsque je lui explique qu’il faudra qu’elle me raconte ce dont elle se souvient, son regard change. Une certaine crainte se lit sur son visage. Elle n’est pas forcément d’accord sur ma manière de procéder, malgré mon explication et l’importance pour me faire une idée de son état post-coma.

Avant qu’elle ne panique, je change de sujet. Je lui raconte la rencontre avec ses sœurs, que j’en sais déjà un peu plus sur sa vie. Le temps de la voir décompresser.

Je lui dis à plus tard, elle acquiesce. J’ouvre la porte, j’entends sa voix chevrotante :

Ne partez pas ! Dites-moi que c’est un cauchemar !

Je me retourne, son visage est décomposé, les larmes coulent sur ses joues, ses mains tremblent. Mon but est atteint, je suis certain qu’elle se souvient de l’attentat. Je suis soulagé qu’elle n’ait pas de séquelles. Le plus difficile reste à venir…