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AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

Cet ouvrage se veut une traduction la plus juste possible du titre original en langue allemande Hanf als Medizin, déjà édité en trois versions, notamment sous le titre Cannabis en médecine (1997, 2004 et 2015) et traduit en plusieurs autres langues en Europe (espagnol, italien, tchèque).

Les informations contenues dans cet ouvrage ne sauraient en aucun cas se substituer aux conseils de professionnels de la santé. De plus, il incombe à chacun de respecter la législation en vigueur dans le pays où il réside.

CHANVRE EN MÉDECINE

Titre original: Hanf als Medizin, Ein praxisorientierter Ratgeber

Photo de couverture: Christian Rätsch, Hamburg

Grille graphique et mise en pages: Marie Blanchard (www.marieBdesign.com)

Édition allemande: copyright © 2015 Nachtschatten Verlag, Solothurn, Suisse

Édition française: copyright © 2017 Edition Solanacée, Solothurn, Suisse. Version révisée et enrichie de l’édition allemande 2015.

Copyright © Dr Franjo Grotenhermen et Edition Solanacée, Solothurn, Suisse, 2017

Édité en Suisse

Tous droits réservés dans tous les pays

ISBN 978-3-03788-543-7

eISBN 978-3-03788-548-2

Copyright et propriété intellectuelle: l’ensemble des éléments figurant sur notre site sont protégés par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. En conséquence, toute reproduction de ceux-ci, totale ou partielle, ou imitation, sans notre accord exprès, préalable et écrit, est interdite.

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Couverture: Marie Blanchard (marieBdesign.com)

Révision linguistique: Permondo (info@permondo.eu) et Magali Laurent

(www.magalilaurent.com)

Correction d’épreuves: Laurence Gradoz et Ludovic B. (UFCM)

Dr Franjo Grotenhermen

CHANVRE EN MÉDECINE

Redécouverte d’une plante médicinale

Édition 2017

Édition publiée en 1997 chez Karl F. Haug-Verlag, Hüthig GmbH, Heidelberg.

Édition publiée en 2004 chez AT-Verlag, Aarau, Suisse.

Édition publiée en 2015 chez Nachtschatten Verlag, Solothurn, Suisse.

Table des matières

Préface de la seconde version française

1Histoire de l’utilisation thérapeutique du chanvre

1.1Grande-Bretagne

1.2États-Unis

1.3France

1.4Allemagne

1.5Premières préparations pharmaceutiques

1.6Début du XXe siècle

2Les principes actifs thérapeutiques

2.1Cannabinoïdes

2.2Autres principes actifs

2.3Différences entre Sativa et Indica

2.4Biochimie des cannabinoïdes

2.5Quelques indications concernant l’utilisation des cannabinoïdes

2.6Préparation des drogues à base de cannabis

3Comment les cannabinoïdes agissent-ils sur l’organisme?

3.1Récepteurs cannabinoïdes

3.2Endocannabinoïdes

3.3L’évolution du système endocannabinoïde en cas de maladie

3.4Autres effets

3.5Mise au point de nouveaux médicaments

3.6Médicaments à base de cannabinoïde ou de cannabis disponibles à ce jour

4Le potentiel thérapeutique du cannabidiol (CBD)

4.1Les entreprises s’intéressent au CBD de manière croissante

4.2Le CBD, cannabinoïde le plus important dans le chanvre

4.3Les connaissances de la recherche fondamentale sur les effets du CBD

4.4Inhibition des effets du THC

4.5Effets positifs sur les troubles anxieux

4.6Effets antipsychotiques

4.7Lutte contre différents types de cancer

4.8Aide pour certains dysfonctionnements de la tension musculaire

4.9Propriétés antiépileptiques

4.10Observations diverses

4.11Interactions avec d’autres médicaments

5Les applications thérapeutiques des produits issus du cannabis riches en THC

5.1Maladies psychiques

Dépressions

Angoisses et troubles de stress post-traumatique

Psychoses affectives, dépressions endogènes et troubles bipolaires

Psychoses schizophrènes

Troubles du comportement liés à la maladie d’Alzheimer

Autisme

Impuissance sexuelle et dysfonction érectile

Troubles du sommeil

Accoutumance à l’alcool, aux opiacés et aux somnifères

5.2Maladies neuropsychiatriques

Trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH)

Pensées obsessionnelles et tendances impératives

Syndrome de Gilles de la Tourette

5.3Maladies neurologiques

Spasticité, sclérose en plaques et paraplégie

Dysfonctionnement urinaire

Troubles du mouvement liés à une hyperkinésie

Tics

Tremblements

Dystonies

Dyskinésie tardive

Myoclonie

Hyperkinésie accompagnée de cytopathie mitochondriale

Maladie de Parkinson

Épilepsie

Lésions cérébrales à la suite d’un traumatisme ou d’un AVC

5.4Douleurs physiques

Douleurs neuropathiques

Douleurs liées au cancer

Rhumatismes, arthrite et spondylarthrite ankylosante

Fibromyalgie

Céphalées

5.5Troubles gastro-intestinaux

Ulcère gastroduodénal et brûlures d’estomac

Diarrhée

Syndrome de l’intestin irritable

Maladie de Crohn et colite ulcéreuse

5.6Nausées et vomissements

Chimiothérapie anticancéreuse

VIH/sida

Hépatite C

Vomissements liés à la grossesse

Autres maladies accompagnées de nausées

5.7Perte d’appétit et amaigrissement

Cancers

Sida

Maladie d’Alzheimer

Perte d’appétit chez les personnes âgées

Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)

Allergies

Démangeaisons

Maladies respiratoires

Asthme

Bronchopneumopathie chronique obstructive

Toux

Glaucome

Diabète

Apnée du sommeil

Cancers (tumeurs)

Diverses autres maladies

Hoquet

Nystagmus

Acouphène (perception auditive anormale)

Hypertension intracrânienne idiopathique

Syndrome de l’homme raide

Syndrome d’Isaac

Vision scotopique

Aide à l’accouchement

Effet antiviral sur le VIH

Sclérose latérale amyotrophique

Lupus érythémateux multisystémique

Hypertension

6Effets secondaires

6.1Risques liés au cannabis

6.2Effets secondaires aigus

Effets psychoactifs et capacité psychomotrice

Effets secondaires physiques

6.3Effets secondaires à long terme

Risques associés à la fumée de combustion

Psychisme et facultés intellectuelles

Développement d’une tolérance

Accoutumance

Effet rebond

Système immunitaire

Système hormonal et fertilité

6.4Grossesse

6.5Effets secondaires du statut d’illégalité

6.6Comparaison entre le cannabis et les autres drogues

7Contre-indications et précautions d’emploi

7.1Contre-indications absolues

7.2Contre-indications relatives

8Comment administrer les produits à base de cannabis?

8.1Différents modes d’administration

Voie respiratoire

Voie orale

Quelques différences entre l’utilisation du THC fumé ou inhalé (voie respiratoire) et celle du THC ingéré (voie orale).

Voie sublinguale

L’huile de cannabis, l’huile de haschich et l’huile de chanvre

Fabrication de l’huile de haschich

Extraire l’huile de cannabis avec de l’huile d’olive

Le beurre de cannabis

8.2Comment tester et définir le dosage approprié?

8.3Que faire en cas de surdosage?

8.4Interactions du cannabis avec d’autres médicaments et drogues

Les plus importantes interactions du cannabis et du Dronabinol avec d’autres substances:

Les associations à éviter avec le cannabis et le Dronabinol

9Recommandations sur l’utilisation du cannabis et du Dronabinol

9.1Manger et boire du cannabis

9.2Inhalation du Dronabinol

9.3Et si les troubles s’intensifient?

9.4Prescription du Dronabinol et du Sativex

9.5Prise en charge des caisses d’assurance maladie

9.6Dérogation pour les fleurs de cannabis par l’Office fédéral des narcotiques (Bundesopiumstelle)

Le rapport du médecin doit contenir les données suivantes:

9.7Situation légale: « faible quantité »

9.8Permis de conduire et produits à base de cannabis

9.9Acheter du Dronabinol et du Sativex à l’étranger

9.10Traces de cannabinoïdes dans le sang et l’urine

9.11Produits issus du cannabis chez l’enfant

9.12Culture du cannabis

9.13Séchage du cannabis

9.14Stockage du cannabis

10Chènevis, huile et farine de chanvre

10.1Principes nutritifs de base

10.2L’acide gamma-linoléique

10.3L’utilisation thérapeutique des acides gras essentiels et de l’huile de chanvre

Neurodermite

L’huile de chanvre pour les soins corporels

Acide gamma-linoléique et autres maladies

Maladies cardiovasculaires

Arthrite rhumatoïde et autres maladies inflammatoires

Syndrome prémenstruel

Glossaire

Bibliographie

Informations complémentaires et coordonnées

À propos de l’auteur

Préface de la seconde version française

De nombreux patients qui utilisent du cannabis à titre médical décrivent celui-ci comme le meilleur médicament qu’ils aient utilisé. Certains trouvent finalement un soulagement par l’usage de cannabinoïdes alors que tous les autres traitements ont échoué. Néanmoins, le cannabis et les cannabinoïdes ne sont pas un médicament miracle. En effet, beaucoup d’autres patients sont déçus parce que les produits issus du cannabis ne les aident pas ou parce que les effets secondaires sont trop importants pour eux. Les personnes qui souffrent d’une maladie ou de symptômes pour lesquels le cannabis ou le THC (Dronabinol) apportent un intérêt thérapeutique, doivent faire des essais et trouver dans quelle mesure elles tirent profit des produits issus du cannabis. Elles doivent s’armer de patience pour déterminer leur dosage individuel.

L’utilité médicale du cannabis, et des cannabinoïdes pris séparément, est maintenant très largement acceptée par la communauté scientifique. En revanche, la perception qui en est faite par les médecins et les politiciens varie considérablement en fonction des pays. Alors que dans beaucoup de pays comme le Canada, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, 29 États des États-Unis, la République Tchèque, l’Autriche et Israël, le large potentiel thérapeutique du cannabis ainsi que son accès sont acceptés et reconnus, le climat et la situation légale restent difficiles pour les patients d’autres pays comme la France et la Grèce. Des débats rationnels commencent seulement dans ces pays qui accusent un retard de plus de 20 ans par rapport aux autres pays.

Grâce à ses informations pratiques, adressées notamment aux patients et aux médecins, j’espère que ce livre permettra de stimuler un débat rationnel. Les patients qui utilisent des produits issus du cannabis, quelque soit leur pays, ne devraient jamais être traités comme des criminels à partir du moment où ils sont atteints de maladies graves ou qu’ils éprouvent un soulagement grâce aux cannabinoïdes.

Je me réjouis de voir que la version française de 2017 est maintenant rééditée, enrichie des dernières découvertes, et est disponible après les éditions allemandes, italiennes, espagnoles et tchèques. Beaucoup de nouvelles recherches, menées ces dernières années, ont été intégrées à cet ouvrage ainsi qu’à la liste des références présentées dans la partie Bibliographie. Pour l’essentiel, elles ne font que confirmer un peu plus les résultats déjà présentés dans la version originale.

Pour cette seconde édition française, j’aimerais remercier particulièrement Bertrand Rambaud de l’UFCM, Sabrina Geiersbach de PerMondo pour la traduction des mises à jour, Roger Liggenstorfer pour l’édition, ainsi que Ludovic B. pour sa collaboration.

Rüthen (Allemagne), juillet 2017

Docteur en Médecine Franjo Grotenhermen

1

Histoire de l’utilisation thérapeutique du chanvre

Depuis très longtemps, l’homme utilise le chanvre (nom latin: Cannabis Sativa L.) pour ses fibres et ses graines (chènevis). Ces dernières entrent dans la préparation d’aliments à grande valeur nutritive. On suppose aujourd’hui qu’en Asie, la culture du chanvre remonte à plusieurs milliers d’années. Avant notre ère, l’Asie occidentale constitua le point de départ de la diffusion du cannabis vers les continents africain et européen, puis, aux XVIe et XVIIe siècles, vers l’Amérique du Nord, centrale et du Sud.

En Chine, les premiers papiers (une invention longtemps gardée secrète) furent fabriqués avec du chanvre, plusieurs centaines d’années av. J.-C. Mais ce n’est qu’au IXe siècle que les Arabes l’introduisirent en Occident, où il remplaça le papyrus et les tablettes d’argile. La première Bible de Gutenberg, comme tous les autres livres de l’époque, fut imprimée sur du papier à base d’un mélange de chanvre et de lin. Depuis longtemps, les fibres de chanvre, réputées pour leurs multiples possibilités d’emploi, servent à confectionner des vêtements, des tissus et des cordes. Les Phéniciens, qui sillonnèrent la Méditerranée il y a 3000 ans, ainsi que les Égyptiens au temps des Pharaons, utilisaient ce matériau très résistant pour confectionner leurs voiles de bateaux et leurs filets de pêche.

Les composants de la drogue étaient également connus avant l’ère chrétienne et déjà utilisés lors de rites et de cérémonies de guérison dans de nombreuses cultures. Le chanvre est qualifié de plante sacrée dans les Véda (Inde, 1500-1300 av. J.-C.) et dans le Chu-tzu (Chine, env. 300 av.J.-C.). Quant aux nombreuses propriétés thérapeutiques, aujourd’hui redécouvertes, elles étaient surtout connues en Asie centrale, d’où nous ont été transmises les applications traditionnelles pour traiter certaines maladies neurologiques.

Aujourd’hui encore, nous pouvons profiter de ces expériences vieilles de plusieurs centaines, voire milliers d’années.

Au XVIIe siècle, les Européens qui ont voyagé dans les pays arabes et l’Asie ont découvert du cannabis à teneur élevée en THC. Le terme « chanvre indien » fut introduit pour la première fois par le naturaliste allemand Georg Eberhard Rumpf (1627-1702). Toutefois, avant le XIXe siècle, le chanvre indien n’était que peu utilisé en médecine, en Europe comme en Amérique, et, la plupart du temps, il soulevait un certain scepticisme.

En 1823, l’illustre Hufeland-Journal publia un article sur le succès de l’utilisation du chanvre indien dans le traitement de la coqueluche: « L’extrait de cannabis fut utilisé à la polyclinique de Berlin pour traiter en urgence un patient pris de toux convulsive. Le même extrait en poudre, mélangé avec du sucre, à un dosage de 4 grammes, fut prescrit quotidiennement. » En 1830, l’application thérapeutique du chanvre indien fut décrite en détail, pour la première fois en Europe, par Theodor Friedrich Ludwig Nees von Esenbeck, professeur de pharmacologie et de botanique à Bonn: « Certains médecins, dont Hahnemann, prescrivent l’extrait de cannabis pour traiter de nombreux cas présentant des troubles nerveux dans les cas où l’on utiliserait de l’opium ou de la jusquiame, offrant les mêmes résultats, et provoquant moins de bouffées de chaleur dues à la forte amertume des substances. »

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La plus ancienne représentation du chanvre en Europe, issue du « Manuscriptum Dioscorides Constantinopolitanus » du British Museum de Londres, datant du Ier ou IIe siècle après J.-C., plus tard annotée de commentaires en langue arabe.

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Gravure sur bois issue du «Contrafayt Kreüterbuch» de Otto Brunfels (1532).

1.1Grande-Bretagne

L’Écossais Sir William Brooke O’Shaughnessy, médecin, scientifique et ingénieur, fut le véritable pionnier en ce qui concerne l’utilisation thérapeutique du cannabis en Europe occidentale — et en particulier l’utilisation de ses composants psychotropes. En 1833, en tant qu’employé de la British Est India Company, il se rendit pour la première fois en Inde. Il avait alors 33 ans. Très rapidement, il s’intéressa au potentiel thérapeutique du cannabis et publia en 1839 une synthèse de ses expériences, qui fut accueillie avec beaucoup d’intérêt en Grande-Bretagne. D’abord, il rendit compte des différents emplois traditionnels et thérapeutiques de la plante en Inde et réalisa ensuite des études sur les animaux et sur l’homme, afin de bien comprendre son action et de mieux évaluer ses effets secondaires.

À la suite de ses premières recherches, il en vint à la conclusion, qu’en raison de la « parfaite innocuité de la résine de cannabis », une étude complète devrait être menée pour des cas cliniques où « ses qualités manifestes promettent un meilleur bénéfice thérapeutique ». C’est ainsi que des teintures de cannabis (extraits de résine de cannabis à solvant d’alcool éthylique), dosées entre 65 et 130 mg, furent prescrites à des patients atteints de rhumatismes, du tétanos, de la rage, de spasmes infantiles, du choléra et de delirium tremens. Sur trois cas traités pour des rhumatismes, deux furent « presque guéris en trois jours », bien que l’administration de ces doses élevées provoquât d’importants effets secondaires, tels que des paralysies totales et des comportements incontrôlables. Quant au troisième cas, aucune réaction au traitement n’avait pu être observée; ce ne fut que bien plus tard que le patient avoua qu’il consommait régulièrement du cannabis: les premières indications sur le développement d’une tolérance.

D’autres études menées avec des doses plus faibles conduisirent à des conclusions similaires: « Réduction de l’intensité des douleurs chez la plupart des patients, stimulation notoire de l’appétit chez tous, effets aphrodisiaques indubitables et sentiment de grand bonheur spirituel. Tous suivirent la même évolution, et aucun cas ne présenta de maux de tête ni de nausées en réponse au stimulus. »

Les convulsions et spasmes induits par la rage ou par le tétanos furent contrôlés grâce à l’administration de cannabis à un dosage élevé. Dans le cas du tétanos, le cannabis permit d’agir positivement sur l’évolution de la maladie et fut administré à des doses de l’ordre de 650 mg pour les cas qualifiés de « sans espoir ». O’Shaughnessy observa une décontraction des muscles ainsi qu’un arrêt de la « tendance convulsive ». De même, les observations faites sur les spasmes infantiles furent encourageantes. Quant au traitement du choléra, des résultats excellents furent obtenus, bien que plus souvent chez les Européens que chez les Indiens, consommateurs réguliers de bhang. O’Shaughnessy reconnut également les effets antiémétiques du cannabis.

Grâce aux rapports publiés par cet illustre pionnier, l’utilisation du cannabis se développa en Europe et en Amérique, où il se transforma rapidement en médicament largement reconnu. Nombreux furent alors les nouveaux médecins qui exposèrent leurs expériences.

Donavan décrit en 1845 l’efficacité du cannabis dans le traitement des douleurs névralgiques aiguës dans les bras et les doigts, des inflammations des articulations du genou, des névralgies faciales, des douleurs du nerf sciatique au niveau du bassin, du genou et jusqu’aux pieds. En outre, il observa des effets stimulateurs de l’appétit. La même année, Corrigan décrit plusieurs cas de chorée de Huntington (danse de Saint-Guy) et de névralgies qui pouvaient être traités avec succès par une teinture de cannabis. À l’instar d’autres médecins, il nota une importante variabilité de l’efficacité du principe actif pouvant être attribuée, aujourd’hui, aux différentes concentrations en THC des plantes. Dans un seul cas, l’administration de 20 gouttes de cette teinture a conduit à une « perte passagère du tonus de la quasi-totalité des muscles, suivi d’endormissement, tandis que dans un autre cas, un patient a reçu pendant une semaine, trois fois par jour, à un dosage similaire, sans problème notable et avec succès ».

Le médecin britannique Clendinning rapporta en 1843 ses essais conduits sur plusieurs cas cliniques: « Je n’hésite pas à confirmer que la prescription de cannabis s’avère en général, et à l’exception de quelques cas notoires rares, avoir des effets très nets comme somnifère ou agent hypnotique pour provoquer l’endormissement; comme antalgique […]; comme antispasmodique pour calmer la toux et les crampes; comme neurostimulant pour faire disparaître la lassitude et l’anxiété; comme cardiotonique et stimulant de la bonne humeur. Tous ces effets ont été observés aussi bien en cas de troubles aigus ou chroniques, chez les jeunes comme chez les vieux, chez l’homme comme chez la femme. »

D’autres médecins anglais, tels Churchill (1849), Christison (1851), Grigor (1852), Dobell (1863), Silver (1870), Brown (1883), Batho (1883), Fox (1897) et Birch (1889) rapportèrent également les propriétés antalgiques du cannabis dans le traitement de rhumatismes, de sciatiques, de migraines, de douleurs d’origines diverses, de crampes musculaires, de crises d’asthme, d’insomnies, de contractions utérines lors de l’accouchement, mais aussi pour calmer les hémorragies utérines et l’écoulement menstruel (ménorragie) ainsi que pour traiter la dépendance aux opiacés et à l’hydrate de chloral. Selon Birch (1889), le chanvre indien calmerait immédiatement « l’envie de chloral ou d’opium » et stimulerait l’appétit.

À son époque, Sir John Russell Reynolds, illustre professeur de médecine à Londres et médecin personnel de la reine Victoria, à laquelle il prescrivait tous les mois du cannabis pour traiter les troubles menstruels, résumait en 1890 ses expériences, recueillies pendant plus de 30 ans, relatives aux préparations médicinales à base de cannabis: « Le chanvre indien, à condition de l’administrer pur et avec précaution, est l’un des médicaments les plus précieux dont nous disposons. » Il précisa que le cannabis pouvait être utilisé avec succès contre l’insomnie du troisième âge, et cela « pendant des mois, voire des années, sans avoir besoin d’augmenter le dosage ». En revanche, pour soigner la folie, il est « plus qu’inutile ». Il ajouta que le cannabis est « de loin le médicament le plus utile pour traiter presque toutes les maladies accompagnées de douleurs ». Le professeur souligna l’utilisation du cannabis pour traiter la névralgie du trijumeau ainsi que d’autres douleurs névralgiques, bien que, en cas de douleurs sciatiques provoquées par le mouvement, le traitement restât inefficace. De nombreux patients souffrant de migraines parvenaient à maîtriser les phénomènes de crise en utilisant du cannabis « dès l’apparition des premiers signes ou dès le tout début de la maladie ». De plus, le cannabis serait également très bénéfique pour le traitement « de crampes nocturnes chez des personnes âgées ou chez les malades de la goutte », tout comme en cas de règles douloureuses. Quelques asthmatiques souffrant de spasticité auraient aussi tiré un bénéfice de ce traitement.

1.2États-Unis

Aux États-Unis, l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques était également répandue. Dans la pharmacopée américaine de 1854, ses propriétés thérapeutiques furent décrites ainsi: « L’extrait de cannabis est un puissant narcotique entraînant des sensations de gaieté, d’ivresse, d’hallucinations accompagnées de délires, de somnolence et d’engourdissement mental, avec seulement des effets faibles sur la circulation sanguine. Il offre également des propriétés aphrodisiaques, stimulatrices d’appétit et, dans certains cas, génératrices d’état cataleptique. Lors de troubles organiques, il peut causer l’endormissement, atténuer les spasmes, calmer la nervosité et réduire l’intensité de la douleur. Du point de vue des effets, le cannabis ressemble quelque peu à l’opium, bien qu’il s’en distingue parce qu’il ne coupe pas l’appétit, n’empêche pas les secrétions et ne constipe pas. Ses effets sont moins prévisibles que ceux de l’opium; mais dans le cas où l’opium est contre-indiqué parce qu’il provoque la constipation et des nausées, mieux vaut alors administrer du cannabis. On l’utilise spécifiquement pour traiter les névralgies, la goutte, le tétanos, la rage, le choléra épidémique, la chorée de Huntington, l’hystérie, la dépression, les délires et l’hémorragie utérine. Le Dr Alexander Christison d’Édimbourg lui attribuait l’effet accélérateur et intensificateur des contractions lors de l’accouchement et, à cet effet, il l’utilisa avec succès. Les propriétés thérapeutiques du cannabis agissent rapidement et sans action anesthésiante, bien qu’il semble que cet effet se produise dans certains cas. » Certes, les variations dans la composition chimique de la plante contribuaient à l’observation de multiples cas de surdosage, mais sans jamais avoir de conséquences graves.

« Un surdosage n’a jamais entraîné la mort ni d’un homme ni du moindre animal. Aucun cas authentique n’a pu être rapporté selon lequel le cannabis, ou une de ses préparations, aurait détruit la vie de quiconque », écrivit Robinson en 1912. À l’époque, tout comme aujourd’hui, un tel niveau d’innocuité thérapeutique n’était pas forcément valable pour d’autres médicaments disponibles.

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Première page du doctorat de Georg Martius d’Erlangen en 1855: « Je pensais en l’occurrence au chanvre dont l’histoire naturelle présente encore des zones d’ombre et erronées, et qui ces dernières années a toujours plus attiré l’attention du monde médical. »

1.3France

En France, non seulement les médecins mais également les artistes s’intéressaient aux effets de la drogue. Le poète Théophile Gautier décrivit en détail une longue ivresse cannabique dans un article intitulé « Le Club des Haschischins », publié en 1843 dans le journal parisien La Presse. Parmi les membres de ce club figuraient également des écrivains et artistes comme Alexandre Dumas (qui laissa transparaître ses expériences avec le cannabis dans son roman Le Comte de Monte-Cristo), Charles Baudelaire, le caricaturiste Honoré Daumier et le peintre Eugène Delacroix. Le psychiatre Jacques-Joseph Moreau de Tours, qui dirigeait depuis 1840 la clinique psychiatrique d’Ivry, considéra le haschich comme remède important en psychiatrie. Il traita sept patients atteints de différents troubles psychiatriques avec du cannabis: cinq d’entre eux guérirent.

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Publicité pour le Cannabis U.S.P. (American Cannabis), 1932.

1.4Allemagne

Du côté de l’Allemagne, ce furent, entre autres, Freudenstein, Beron, von Kobylanski, Fronmüller et Martius qui rapportèrent leurs expériences avec le cannabis. Seulement deux ans après la publication révolutionnaire d’O’Shaughnessy, c’est-à-dire en 1841, parut à l’Université de Marburg la thèse de Georg Freudenstein De Cannabis sativae usu ac viribus narcoticis, traitant des aspects culturels et pharmacologiques de la plante médicinale.

En 1852, le médecin bulgare Basilus Beron étudia dans sa thèse À propos du tétanos et du chanvre indien comme remède efficace contre celui-ci, publiée à l’Université de Würzburg, l’application de cannabis dans le traitement du tétanos: « Ayant essayé sans succès la quasi-totalité des antitétaniques connus, j’étais vraiment heureux de voir guérir mon patient grâce à l’administration de cannabis […] ce dernier est donc fortement recommandé pour traiter le tétanos. » La même année et dans la même université parut la thèse de Franz von Kobylanski, intitulée À propos du chanvre indien et en particulier de son effet stimulant sur les contractions lors de l’accouchement.

Bernhard Fronmüller, médecin à l’hôpital de Fürth, médecin royal et médecin du district en Bavière, publia en 1869 des travaux qui ont suscité un grand intérêt: Études cliniques sur les effets somnifères des narcotiques (Klinische Studien über die schlafmachende Wirkung der narkotischen Arzneimittel), rassemblant ses expériences auprès de mille patients qui, pour des raisons diverses, souffraient d’importants troubles du sommeil. Dans un premier temps, Fronmüller administra à tous ces patients divers médicaments. Les résultats montrèrent que le cannabis était très efficace dans 53 % des cas, partiellement efficace dans 21,5 % des cas et peu ou pas du tout efficace dans 25,5 % des cas. En même temps, Fronmüller étudia également les propriétés analgésiques du cannabis et nota, en plus, un effet anti-inflammatoire et stimulant de l’appétit.

Dans l’hebdomadaire médical allemand Deutsche Medizinische Wochenschrift, le Parisien See rapporta en 1890 ses observations concernant les traitements à base de cannabis contre les troubles digestifs et la perte d’appétit. De faibles doses ne conduisent pas à des effets secondaires désagréables, réduisent l’intensité de la douleur, stimulent l’appétit et calment les vomissements ainsi que les crampes d’estomac; de plus, il agit sur des « symptômes annexes […], les vertiges, la migraine, l’hypersomnie ou l’insomnie ». Plus loin est écrit: « J’ai vu des malades […] chez qui la sensibilité gastrique était si grande qu’ils n’osaient même plus manger et se contentaient seulement de quelques gorgées de lait. Immédiatement après avoir pris les premières doses du médicament, ils éprouvaient un tel soulagement, qu’ils recommençaient à manger, sans la moindre incommodité, entre autres de la viande crue, cuite ou hachée, des purées de légumes secs, des œufs. […] Les effets du cannabis ne varient pas ni pour calmer les douleurs ni pour retrouver l’appétit, indépendamment de l’origine du trouble. […] La digestion est stimulée par le cannabis lorsque celle-ci est ralentie par un état de paralysie névrotique ou rendue douloureuse par l’hyperacidité gastrique. […] L’absorption intestinale bénéficie également des propriétés apaisantes du cannabis. […] En bref, le cannabis est le véritable sédatif de l’estomac sans aucun des effets indésirables attribués aux narcotiques, tels que l’opium ou le chloral. »

1.5Premières préparations pharmaceutiques

Vers la fin du XIXe siècle, la reconnaissance des produits à base de cannabis comme médicaments était répandue en Europe et en Amérique. L’entreprise pharmaceutique allemande Merck de Darmstadt était le premier producteur de préparations cannabiques d’Europe, dont le cannabinum tannicum, commercialisé en 1882, le cannabinon en 1884 et le cannabin en 1889. On administra ces médicaments comme somnifère, analgésique, aphrodisiaque, antinévralgique, antirhumatismal, antidépresseur, mais également dans les traitements contre l’hystérie, le delirium tremens et les psychoses. En Grande-Bretagne apparurent les préparations prêtes à l’emploi de Burroughs, Wellcome & Co.; aux États-Unis, celles de Squibb (New York), Parke, Davis & Co. (Détroit) et Eli Lilly & Co. Parmi tous ces médicaments à base de cannabis, disponibles sur le marché à la fin du siècle, la majorité était administrée par voie orale, environ un tiers constituait des préparations à usage externe et quelques-uns devaient être inhalés (comme les cigarettes contre l’asthme).

À cette époque, la consommation récréative du cannabis n’était que peu connue en Europe. Ainsi, A J. Kunkel, professeur de Würzburg, souligna en 1899 dans son manuel de toxicologie: « L’abus chronique de préparations à base de cannabis, ou cannabisme, semble être largement répandu en Asie et en Afrique. […] Il n’a pas été observé en Europe. En revanche, en Inde, les médecins font souvent état de tels cas. »

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Publicités pour les cigarettes indiennes de l’entreprise Grimault & Cie, vers 1880.

1.6Début du XXe siècle

La première moitié du XXe siècle fut marquée par des tendances contradictoires. Le discrédit jeté sur la consommation récréative de cannabis conduisit à la régression de son utilisation médicale. En outre, le développement acharné de médicaments synthétiques, dont l’aspirine, l’hydrate de chloral, le bromural, les barbituriques et les dérivés opiacés, contribua à la mise à l’écart des produits naturels.

La composition chimique des extraits de cannabis variait tellement que leur dosage en principe actif fut incertain et l’intensité des effets pas toujours prévisible. Par ailleurs, il n’était pas rare que des différences très nettes en ce qui concerne les réactions, c’est-à-dire la réactivité au médicament, apparaissent d’une personne à l’autre. Ensuite, il fallait attendre jusqu’à une heure ou plus, après une prise par voie orale de l’extrait, pour que les premiers effets se fassent sentir. Contrairement à la morphine, le cannabis n’était pas soluble et il n’était donc pas possible de préparer des solutions injectables.

En 1925, le cannabis fut intégré à la première Convention internationale de l’opium, signée à La Haye en 1912, qui incluait initialement l’opium, la morphine, l’héroïne et la cocaïne. Dès lors, le cannabis fut juridiquement considéré de la même façon que ces substances. Dans l’Amérique des années 30, l’hystérie du mouvement des « anti-cannabis » était tout particulièrement florissante. Selon eux, des meurtres auraient été commis sous l’emprise du cannabis et ce produit conduisait à la folie. Les journaux de l’époque se disputaient la surenchère des révélations de scènes d’horreur sensationnelles. Harry J. Anslinger, premier Commissaire du Federal Bureau of Narcotics, qui depuis la levée de la prohibition de l’alcool cherchait manifestement un nouveau champ d’action, contribua considérablement au phénomène de la « folie du fumeur » (Reefer Madness). En 1937, Anslinger rédigea un article pour l’American Magazine, intitulé « La marijuana, assassin de la jeunesse ». Dès lors en Amérique, tout ce qui se rapportait à la passion incontrôlée, au fanatisme, à l’anarchie ou à la violence fut associé au cannabis.

Mais, parallèlement, on trouvait des consciences plus éclairées. En 1938, Fiorello H. La Guardia, maire de New York, créa une commission scientifique composée d’internistes, de psychiatres, de pharmacologistes, d’un spécialiste de l’hygiène et de la santé publique ainsi que de représentants des organismes sanitaires, des hôpitaux et de la justice. Cette commission avait pour objectif d’étudier la question de la marijuana à New York. Elle entra en fonction en 1940 et publia un rapport très détaillé quatre années plus tard. En voici les principaux points: « Le fait de fumer de la marijuana n’entraîne pas une dépendance au sens médical du terme. La vente et la distribution de cannabis ne sont pas du ressort d’un seul et même groupe organisé. La consommation de marijuana ne conduit pas à une dépendance à la morphine, à l’héroïne ou à la cocaïne et il n’existe pas d’attention pour la création d’un marché pour ces drogues qui stimulerait la consommation de marijuana. La marijuana ne fait pas office de facteur déterminant dans la commission d’un crime. Fumer de la marijuana n’est pas largement répandu chez les écoliers. La délinquance juvénile n’est pas associée à la consommation de marijuana. Les campagnes publicitaires new-yorkaises, centrées sur les effets catastrophiques liés à la consommation de marijuana fumée, sont infondées. »

À la fin des années 40 et au début des années 50, les travaux d’Adams, de Todd, d’Allentuck et de Loewe suscitèrent un regain d’intérêt pour les applications médicales du cannabis.

Siegfried Walter Loewe enseigna la pharmacologie dans plusieurs universités allemandes avant d’émigrer aux États-Unis en 1934, face à la montée du nazisme, où il entreprit, en 1936, des recherches sur le cannabis. Dans une synthèse, parue en 1950 et intitulée Les principes actifs du cannabis et la pharmacologie du cannabinol, Loewe résume les connaissances de l’époque sur la chimie des cannabinoïdes. Dès 1942, il fut prouvé que le premier principe actif était une substance à laquelle les scientifiques donnèrent le nom de Tétrahydrocannabinol, en abrégé: THC. Toutefois, sa structure chimique exacte n’était pas encore connue. En revanche, le mécanisme biologique de la synthèse du cannabidiol au cannabinol par l’intermédiaire du THC avait déjà été identifié avec exactitude. Dans ses travaux, Loewe indique, entre autres, que les effets qui réduisent les crampes et apaisent la douleur sont attribuables au THC.

Dans les années 40, le THC fut utilisé pour la première fois dans un traitement médicamenteux. Ainsi, Samuel Allentuck rapporta au début des années 40 le succès d’un traitement, à base de THC, d’inflammations causées par la dépendance aux opiacés. À la même époque, les premiers cannabinoïdes de synthèse furent fabriqués et testés au cours d’études cliniques. Dans la liste de ces substances, le pyrahexyl (synhexyl) était le principal dérivé synthétique du THC.

Thompson et Proctor signalèrent en 1953 une utilisation réussie du synhexyl et de substances analogues pour traiter le syndrome de sevrage de l’alcool. Ils observèrent un effet plus faible, bien que manifeste, lors du sevrage d’opiacés. Sur 70 patients alcooliques, 59 ont bénéficié du synhexyl pour combattre les symptômes de sevrage, contre 11 patients qui n’ont pas démontré d’amélioration de ces symptômes. Sur 12 patients dépendants au domerol (un opiacé), 10 ont réussi le sevrage en une semaine, sans avoir recours à d’autres médicaments. Chez quelques cas de dépendance aux barbituriques, on constata également une amélioration des symptômes de sevrage.

À la fin des années 40, Stockings prescrivit du synhexyl à 50 patients dépressifs. Chez des sujets en bonne santé, 5 à 15 mg provoquaient des états euphoriques tandis que chez des sujets dépressifs, le même état n’était atteint qu’avec un dosage entre 60 et 90 mg de synhexyl. Il conclut que « généralement, chez l’homme, les effets consistaient en un sentiment de bonheur et d’euphorie accompagné d’un état notoire de bien-être physique et de gain en assurance. Il y avait également une libération des tensions et des angoisses et le seuil de tolérance aux sentiments désagréables était nettement relevé ».

L’intérêt accordé aux recherches sur le cannabis s’éveilla à nouveau en 1964 avec l’identification exacte de la structure chimique du delta-9-tétrahydrocannabinol, ou delta-9-THC en abrégé (Δ9-THC ou THC tout court) par les chercheurs israéliens Gaoni et Mechoulam. Dès lors, les recherches dans le domaine de la chimie, des processus du métabolisme et des potentiels effets positifs ou négatifs du cannabis et des nombreux cannabinoïdes, connaissent une grande période d’effervescence. Une deuxième grande période, plus importante encore, vit le jour au début des années 90, après la découverte dans l’organisme du système cannabinoïde endogène, des récepteurs cannabinoïdes ainsi que des cannabinoïdes produits naturellement par l’organisme humain, c’est-à-dire les cannabinoïdes endogènes, ou endocannabinoïdes.

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Les principes actifs thérapeutiques

À ce jour, plus de 500 constituants naturels du chanvre ont été découverts. La plupart de ces substances chimiques se trouvent également dans beaucoup d’autres végétaux et animaux, bien que leurs effets pharmacologiques restent généralement faibles, voire inexistants. Parmi les éléments composant la plante de cannabis, on compte des acides aminés, des protéines, des sucres, des terpènes, des cannabinoïdes, des flavonoïdes, des vitamines, des hydrocarbures, des alcaloïdes, des aldéhydes, des cétones, des acides gras, des pigments et encore bien d’autres familles de substances. Près de 120 de ces éléments appartiennent à la seule famille des terpènes, plus généralement connue sous le nom « huiles essentielles ». Chaque plante prise individuellement, ou selon la variété, ne contient qu’une partie de l’ensemble de ces plus de 500 molécules naturelles. Par exemple, la composition des terpènes peut varier en fonction des variétés de cannabis (sativa ou indica).

Les composants spécifiques de la plante, les cannabinoïdes, sont presque exclusivement présents dans le cannabis. Des scientifiques japonais ont découvert récemment la présence de substances analogues dans deux mousses (Radula perrottetii et Radula marginata), appartenant à la classe végétale des bryophytes (mousses et hépatiques), mais qui ne poussent pas à l’état naturel en Allemagne. Le schéma structurel de base de l’acide perrottétiténique, dont on ne connaît pas encore les effets pharmacologiques sur l’homme, est très proche de celui du delta-9-THC.

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Les principaux cannabinoïdes du cannabis sont le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). En médecine, le THC est aussi dénommé dronabinol.

2.1Cannabinoïdes

À ce jour, on a pu identifier 120 types de cannabinoïdes qui se répartissent, pour la plupart d’entre eux et d’après leur structure chimique de base, en dix grands groupes, dont les cinq principaux sont: cannabigerol (CBG), cannabichrome (CBC), cannabidiol (CBD), delta-9-THC (THC) et cannabinol (CBN). Les cinq autres sont: delta-8-tétrahydrocannabinol (delta-8-THC), cannabicyclol (CBL), cannabielsoin (CBE), cannabidiol (CBND) et cannabitriol (CBTL). En plus de ces constituants, on dénombre également des associations de constituants à forme mixte. Chacun des groupes intègre plusieurs types de cannabinoïdes qui se distinguent entre eux, notamment, par la longueur de la chaîne carbonnée constituant ces molécules. Ainsi, plus de dix types de cannabinoïdes appartiennent au groupe delta-9-THC (THC).

En règle générale, seulement trois ou quatre types de cannabinoïdes différents sont présents en concentration significative dans chacune des plantes, tandis que les autres types ne sont présents qu’en quantités infimes, voire pas du tout. Les variétés de cannabis dit « psychotrope », dont sont extraits la marijuana et le haschich, révèlent de fortes teneurs en delta-9-THC, allant de 1 à 25 %. Dans le chanvre destiné au textile, en revanche, le taux de cannabidiol (CBD) varie en moyenne entre 0,5 et 2 %. Certains types de chanvres textiles contiennent également une quantité importante de cannabigerol (CBG). L’Union européenne autorise un taux maximal de THC de 0,2 % dans le chanvre textile, afin d’éviter tout usage à des fins psychotropes.

Le delta-9-tétrahydrocannabinol (delta-9-THC ou THC) possède un large spectre de propriétés. Ainsi, on lui attribue les effets psychoactifs caractéristiques de la marijuana et du haschich, mais également la plupart des propriétés médicales des produits dérivés du cannabis. Parmi elles, on compte notamment les effets: euphorisant, relaxant des muscles, antiépileptique, antiémétique, apéritif, antibiotique, fébrifuge, réducteur de la pression oculaire, bronchodilatateur, tranquillisant et analgésique. Dans de nombreux pays, notamment en Allemagne, en Autriche, en Suisse et beaucoup d’autres, les médecins sont autorisés à prescrire le THC sous sa dénomination pharmacologique internationale commune de « dronabinol » sur une ordonnance de carnet à souches.